Art éphémère

De quoi faire oublier l’été lorsque se pointe l’automne.

Il débarque à l’improviste dans l’atelier de nos vies monochromes, inaltérablement vertes d’été. Il sort sa palette de couleurs chaudes, ses pinceaux, enfile son tablier et couvre la toile du dehors de tout son savoir vivre. L’automne est un artiste peintre confiant sans être arrogant. Il sait que tout l’or du monde ne pourra jamais acheter ses œuvres. Sans avoir à transgresser le marché de l’art. Il peint des tableaux toujours plus beaux. Un don de soi. Un modèle d’abnégation. Il ne se demande pas pourquoi il crée. Quelle est sa démarche artistique? Ou son message? Qu’est-ce qu’il voulait dire par un ciel magenta à l’aube, des feuilles d’or qui dansent dans les arbres au coucher du soleil ou cette manie bien familière de nous donner des becs en pincette frettes sur les joues un bon matin, dehors, en sortant les poubelles. L’automne crée. C’est tout. Ce n’est pas compliqué. On a le droit de penser que toutes ces beautés sont exposées pour le pur plaisir du spectateur. Qu’il a accroché ses œuvres d’art éphémère partout sur les murs de notre décor pour nous plaire, parce que ça marche, parce que ça pousse à la consommation de sa nature, mais ce serait se donner beaucoup trop d’importance. Un égocentrisme surdimensionné quant à l’immensité substantielle de l’automne. Un «mystère» ajouterai-je. Des épousailles énigmatiques entre la vie et la mort dans un perpétuel cortège de poésie.

Et puis, il a du style l’automne. Un petit look classique, mais qui surprend à tout coup. Pourtant, on n’en est pas à notre premier aperçu de ce chapeau jaune qu’il porte comme un fascinator à la cime des arbres. Il le sort à chaque année. Un petit bijou. Jamais abîmé. C’est étonnant, depuis le temps. C’est souvent le premier article de la direction artistique de sa garde-robe qu’il sort des boules à mites. Je pense que c’est un statement. Une façon de dire qu’il est riche pour un artiste. Qu’il ne vit pas que de la bohème, que d’accrocher les chrysanthèmes jusque sous nos fenêtres et que groupé autour d’un chocolat chaud, on pourrait peut-être oublier la venue de l’hiver… Il pavane sa fortune derrière une voilette de tulle tissée de pistils de safran sur sa coiffure de feuille de vigne. L’Yves St-Laurent d’un tapis rouge vivant de feuilles mortes.

N’est-ce pas là le secret d’un amour durable? Savoir encore et toujours se surprendre?

L’automne est une ronde annuelle. Tout de lui devient si délicieux. Même les bouquets de feuilles prennent des airs de barbe à papa sur un bâton. Un nuage de sucre au goût d’orange, de citron, de grenadine. On s’adonne parfois au tree hugging par gourmandise simplement pour en manger des yeux.

Et cette façon qu’il a de nous inviter en tête à tête avec le jour aux lumières tamisées. La vie cadrée d’enluminures. Un dehors riche et chaleureux. L’éclairage naturel d’un filtre Instagram. Même la pluie et ses cinquante nuances de gris a du charme. On lui pardonne à l’automne, son avarice des jours qui raccourcissent. On sait qu’il ne reste jamais bien longtemps. Il est pressé de rester. Il est comme un père absent. L’automne nous couvre de cadeaux lors d’une courte visite pour compenser son manque de présence. Puis il repart ailleurs, faire mourir de beauté, ses maîtresses d’été.

De toute façon l’hiver est beaucoup trop imposant. Beaucoup plus déterminé. L’automne ne fait pas le poids lorsque l’hiver est arrivé. Il peut bien nous prendre quelques minutes de clarté. La noirceur apporte aussi ces instants de bonheur. Ses balades qu’on prend le soir, après le souper, pour digérer au bras de notre amour pendant que notre fille s’invente des jeux de cachette, des sauts, des danses dans un tas de feuilles. Les rires et les discussions se dissolvent sur un fond sonore plus silencieux, plus tranquille, dans les rues qui étaient animées les jours d’été, mais qui ne le sont plus. Les gens sont rentrés. S’enfermer.

Notre manteau qu’on sort du garde-robe et qui sent le dernier jour du printemps où il avait fait soleil et qu’on avait accroché un chapelet de vêtements sur la corde à linge. Un mélange d’envie de vivre, de sortir et de lavande.

La nuit qui fait sa fraîche et qu’on laisse quand même entrée dans notre chambre en ouvrant un peu la fenêtre pour mieux dormir. Qui se sauve le matin. Qui file en tenant dans ses mains les jupons de sa grosse robe noire gonflée de nos rêves, de nos insomnies, gênée se s’être endormie au chaud dans nos draps de flanelle et qui laisse derrière elle, des milliers de perles de rosée comme des pantoufles de verre sur les marches de l’escalier.

On ne s’habitue pas à son incontournable beauté. L’automne a ce parfum d’épices. Un sillage qu’il laisse sans vergogne flotter au dessus des trottoirs nappés de pétales de feuilles. Des notes de citrouille, de muscade, de cannelle déposées sur un coussin de plumes. Un polochon éventré, étendu par terre. Comme si l’automne avait perdu contre l’hiver, une bataille d’oreiller. On assiste un peu plus chaque jour, à sa défaite. Un rembourrage au plumage de cardinal, de paruline, de merle d’Amérique tombe au ralenti sur les trottoirs.

L’hiver over stay his welcome comme dirait le printemps, mais on n’en est pas là.

Faut d’abord changer l’heure, fermer la cour, racler les feuilles, ranger les meubles du balcon, descendre le BBQ, faire tes conserves, tes confitures, ton ketchup, couper les dernières tiges de fines herbes de tes pots de terre, serrer les décorations d’Halloween, gérer la consommation de bonbons, partir le chauffage, allumer une chandelle parfumée au sapin baumier pour camoufler l’odeur de poussière brûlée du calorifère qu’on vient de réveiller, calfeutrer les fenêtres, changer les pneus d’été pour les pneus d’hiver, dissimuler les trappes à souris dans l’fond du garde-manger parce qu’elles ont rien compris aux mesures sanitaires de la santé publique, et qu’elles s’y sont rassemblées, les maudites, pis à moins de deux mètres de distances à part de ça, pour grignoter le coin de mes sacs de farine d’épeautre, installer le tapis de jute dans l’escalier, laver les manteaux, les tuques, les foulards, pairer les mitaines, polir et graisser les bottes d’hiver d’huile de vison, rêver qu’un jour je planterai moi aussi des bulbes de tulipes jaunes dans le rectangle de terre à côté du trottoir, en face de chez nous, remplacer les draps de coton pour des draps de flanelle, faire un bouillie comme ta mère le faisait pis sa mère avant elle; cube de rôti de palette de boeuf, lard salé, carottes, chou, navet, oignions, haricots deux couleurs, v’là la recette du bonheur!, accrocher tes lumières de Noël avant qu’il fasse trop frette et que les doigts te gèlent, prendre un café et écrire un premier roman.

Écrire souvent.

Tous les jours.

Seule, dans mon petit bureau.

Un tableau de fenêtre qui donne sur le parc Molson.

Pendant que le regardant est regardé en souriant dans la galerie de vie de l’automne.

8 réflexions sur “Art éphémère

  1. Toujours aussi MAGNIFIQUE mon amie. L’automne n’a pas perdu contre l’hiver, au contraire, tel la finale d’un feu d’artifices, il laisse sa place au calme pour se faire admirer encore et encore chaque année !

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