On fêtera pas fort…

Il était une fois… Ô que j’aie espéré qu’il y en ait d’autres, mais il y a de ces fois dans nos culs-de-sac de vie qui passent à sens unique et qui ne reviennent pas, ne reculent pas et qui prennent d’autres directions.

Il était une fois, une jeune fille, Angélique, anishnaabée, 14 ans, belle, de longs cheveux ébènes, droits, une peau couleur de sable mouillé, un vocabulaire plein de vécu, des grands yeux noirs dont l’un des deux avait été beurré de la rage des jeunes de la cour d’école, des faibles sans doute, qui s’étaient mis en groupe pour lui tartiner l’œil d’une confiture d’ecchymoses; vous savez ces petits fruits que l’on récolte à la mousson, sous la pluie de la violence. Pourquoi? Pour rien, puisque rien ne justifie un acte de violence, rien, pas même au hockey. Mais la violence laisse des marques et ces jeunes-là avaient probablement besoin de laisser la leur, une trace, une tache, une marque de leur propre existence sans goût, fade, sans sucre quelque part sur un visage angélique.

Mais l’Angélique ne se laissait pas faire. Elle se défendait et ça provoquait.

L’incident s’était produit quelques jours avant sa participation au Camp de leadership des Premières Nations du Club des petits déjeuners que je coordonnais à l’époque, et que j’animais auprès d’une équipe d’animateurs, d’animatrices exceptionnel.les Des gardien.nes de l’enfance, du droit de rêver, de croire et du devoir de s’aimer. Mes meilleurs allié.es à vie !!!

Le soir, lorsque les enfants s’étaient endormis bercés par le souffle de nos voix douces et chantantes dans les corridors, abrillés sous la couverture des berceuses que nos mères nous chantaient bien avant leur âge, nous nous réunissions, épuisés, mais comblés, autour d’une table de la cafétéria, les lumières tamisées, avec un thé, une tisane et des cochonneries pour parler de la journée qui venait de passer et de celle qui allait venir. Nous parlions des 42 enfants sans exception, de la timidité de l’un, le courage de l’autre, la patience, la loyauté, la retenue, le rire déployé d’un tel, les larmes, l’ennui, la peur d’une telle… Angélique y passait à son tour. Elle nous touchait profondément. Méfiante et attachante à la fois. Insoumise et généreuse, intrépide et sensible. Un métissage parfait de qualités qui se tournent parfois le dos. Elle savait, d’heure en heure, tout au long de la semaine, nous montrer la pureté de son cœur. Elle se déployait comme une fleur de souci des champs, le calendula, à la lumière de notre amour et se refermait aussitôt, si nos yeux s’éteignaient par un battement de cils ou que la nuit tombait sur notre regard posé ailleurs, attiré par la lumière des autres.

Et le séjour s’est terminé. Nous ne nous sommes plus revus depuis. Aujourd’hui, elle a 21 ans, et son cœur ne lui appartient déjà plus. Elle est maman. Depuis un peu plus de dix jours, un petit garçon, Elijah est né. Son cœur bat désormais pour que son fils ne manque de rien, qu’il n’ait pas froid, pas faim, qu’il croit en ses rêves, qu’il s’aime et qu’il se fasse un jour respecter dans la cour d’école.

Cher Elijah,

Je pense à toi aujourd’hui. C’est le 1re juillet, mais on ne célèbrera pas la Fête du Canada, le pays fait honte ces jours-ci. Les nouvelles ne sont pas bonnes. On trouve des petits souliers d’enfant anonyme sur les marches des immeubles de hautes institutions partout au pays. Et puis, Elijah, que j’en voie un s’exclamer : «Y’en a tellement qu’on’peut pu les compter!» Heille! On va TOUTES les compter, c’tu clair, on n’fera pas l’erreur deux fois!

Tu sais Elijah, on a tendance à chercher le coupable de ces horreurs du passé, ça donne une ligne directrice vers laquelle on peut diriger notre colère, notre indignation, notre mépris, notre rage, notre honte, name it, ça fait du bien sur le coup, pis après?  

Ça règle rien.

J’aimerais ça Elijah dire que c’est de « notre faute », mais ce n’est pas tout à fait juste, on assiste ces derniers jours au dévoilement de l’histoire et ses conséquences avec impuissance. Tes grands-parents voyaient ça venir, qu’un jour on allait dévoiler la vérité au grand jour, qu’on allait parler du génocide survenu dans les pensionnats autochtones, mais on ne s’en parlait pas. À l’école, on ne nous a pas appris grand-chose pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui. On nous racontait dans nos livres d’histoire (oui, je sais Elijah, il faudrait revoir le contenu des manuels scolaires au plus sacrant! Ça, ce serait un pas vers la vérité et la réconciliation, t’as bien raison! Ça, ça règlerait quelque chose) que vous étiez les méchants quand on a mis les pieds à terre. Je dis « vous » parce qu’on ne nous a jamais parlé des onze Nations autochtones du Québec, encore bien moins des centaines d’autres du reste du Canada. Non, non, on ne parlait que des Iroquoiens et des Algonquins, that’s it! Ça a pris plus cinq cents ans avant qu’on comprenne que vous n’étiez pas méchants pantoute, vous vous défendiez et ça nous provoquait. Alors on vous a beurré l’âme d’une confiture d’idées noires pour marquer notre existence sans goût, fade, sans sucre dans l’histoire du monde. C’est honteux Elijah, tu comprends? C’est pour ça qu’on ne fêtera pas aujourd’hui.

Tu sais Elijah, j’ose croire que les colons français et britanniques qui ont traversé l’océan depuis la France ou l’Angleterre, pour venir vivre ici, (je ne veux pas dire « chez vous » puisque je crois que la terre n’appartient à personne, qu’on appartient à la terre et que tout concept de frontière ou de territoire est une grave invention de l’homme, mais bon…. ) suivis des Irlandais, des Écossais, ont pris le large en pensant trouver une vie meilleure, comme tous les immigrants, les exilés, les réfugiés d’aujourd’hui, parce qu’ils n’étaient pas heureux là où ils vivaient. Sans vous, ils n’auraient jamais survécu à la beauté et la rudesse de l’hiver. Ils vous doivent tout et je veux croire que certains d’entre eux étaient assez polis et bien élevés, que leur mère leur avait appris à dire « merci » en retour d’un service rendu, qu’elle leur avait appris aussi qu’on cogne avant d’entrer chez quelqu’un et qu’on demande la permission avant de se servir. Je veux tellement y croire que tes ancêtres ont fait de belles rencontres humaines et que « l’étranger » avait de quoi de bon à vous offrir.

C’est sûr qu’il y a eu des John A. Macdonald qui se croyaient tout permis. Ce vieux mal élevé, (honte à sa mère!) qui paradait son égo-narcissique-pervers surdimensionné et qui s’est mis à penser que tout l’monde devait lui ressembler, que vous, les anciens, vous deviez vous mettre à jour et que pour ça, «comme les adultes étaient irrécupérables, il a fallu s’en prendre à vos enfants», les arracher de vos bras, vous les voler, les martyriser pour qu’ils apprennent l’anglais ou le français, qu’ils apprennent à lire, à écrire, les endoctriner, les affamer, les isoler et pire encore, les tuer.

C’est horrible… C’est pour ça qu’on ne fêtera pas fort aujourd’hui Elijah.

N’aie pas peur, ça n’arrivera plus, tu es en sécurité dans les bras de ta mère. Tu y resteras et tu apprendras les mots de sa langue, sa culture, tu auras sa force, son courage, sa sensibilité et plus encore, surtout la fierté de sa Nation.

Et nous, les autres couleurs des quatre Nations : les « blancs », même si on est rose, les « noirs » même s’ils sont bruns, et les « jaunes » même s’ils sont comme la couleur du blé, nous nous efforcerons de former un pont plus accessible pour que vos voix traversent jusqu’à nos consciences, que la vérité se rendent à nous, qu’on vous écoute, qu’on reconnaisse votre souffrance, qu’on rédige des livres d’histoires qui ont de l’allure pour les générations à venir et qu’on le pense vraiment, qu’on le ressente du fond du cœur lorsqu’on scande la devise du Québec, ce « Je me souviens » pour de vrai!

Et pour terminer Elijah, sache que les nouvelles ne seront pas bonnes pour encore des mois, voire des années, mais un jour, je veux y croire, on célèbrera la Fête du Canada pas pour son histoire passée, mais pour ce qu’elle est devenue.

Bienvenue dans le monde Elijah, métis, 10 jours et une vie de possibilités.

Cathia

3 réflexions sur “On fêtera pas fort…

  1. Je ne peux tout effacer, mais je peux enseigner à tous les enfants que je côtoie, que vous n êtes pas qu une photo dans un livre, que vous existez et que vous êtes des gens fiers de vos mots et de vos chants que nous reconnaissons nos ignorances,que nous pouvons partager nos connaissances pour faire de ce monde , un monde plein d énergie et de ressources

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