J’arrive de l’Ermitage Warden, tout juste hier, j’y étais pour écrire mon bilan de l’année, comme d’hab’, sauf qu’au lieu de me prendre une couple d’heures assise seule à un café, comme à chaque 31 décembre depuis mes 14 ans, le stylo noir qui patine sur les pages de mon journal, à boire un latté rendu frette à force de ne pas voir le temps passer, je me suis prise une semaine, tu’seule dans la forêt, pas d’eau courante, pas d’électricité, sous des couvertures de silence et des symphonies répétées du feu qui éclate dans le poêle à bois.
Le bonheur!
Ça fait tellement du bien de regarder derrière pour reprendre plus clairement la marche devant. Ce que la vie avait de bon à nous apporter, ce qui nous a servi et qui peut-être, ne nous sert plus, ce qu’on peut changer et ce qu’il faut cultiver pour mieux se cueillir, s’accueillir, ce qu’on a appris, ce qu’on veut apprendre pour la suite des choses.
Il était temps vous allez m’dire, mais c’est la première fois que je me suis adonnée à écouter vraiment le rythme de mon corps et ses envies. Me lever à l’heure qu’il a envie de se lever. Manger seulement quand il éprouve la faim. Aller me coucher tôt, peu de temps après le jour, parce qu’un m’ment d’nné, on voit pu clair dans’cabane. Sourire en pensant que la lumière a été créée grâce à la production accidentelle d’un feu, il a de cela des millions d’années, par un Homo habilis anonyme. Un dude qu’on appellera ici «Gabin».
Gabin c’te jour-là, s’ennuyait pour mourir dans l’fond de sa caverne, un jour d’orage où y’était pogné en d’dans (le confinement ça date pas d’hier)pis que, pour passer le temps, y s’était mis dans tête d’imiter le bruit du tonnerre. C’t’une activité comme in’autre. Ça fait qu’à l’aveugle, il avait tâté le tas d’pierres qui lui servait d’oreiller, s’en était pris deux qu’il avait pensé cogner ensemble après avoir compté jusqu’à sept suivant le jet de l’éclair qu’il voyait là-haut, fendre le ciel. Y connaissait l’truc Gabin, quand tu vois que l’éclair scie le ciel en deux, compte jusqu’à sept et le tonnerre grondera. Gabin se faisait un fun noir à cogner ses pierres l’une contre l’autre, y se sentait faire «un» avec sa nature, en harmonie avec l’orage. Pis y’avait du beat le p’tit maudit. En fait Gabin, c’était un musicien, mais ses parents avaient dû lui répéter que c’est pas un vrai métier, fait que Gabin restait dans l’ombre de ses rêves enfouis dans la grande noirceur de leur abri. Pis c’est là que le fun commence. Gabin s’est épris d’un rythme et d’une sonorité envoutante, comme un ensorcellement, comme les tambours traditionnels autochtones qui reproduisent le rythme d’un battement de coeur, Gabin était possédé par sa vérité, une libération, y s’est mis à cogner tellement fort, tellement vite, que ça faisait des flammèches dans sa caverne. Y’a dû y en avoir une qui est tombée sur une brindille de paille pour que le feu pogne. Vous imaginez la scène?! Le bordel! Un mélange de peur, de doute, d’émerveillement, de gloire, de colère, de peine. Toute la famille pensait que le soleil était rendu dans maison alors que dehors, la pluie faisait rage. Avant que la flamme s’éteigne, c’est comme si le monde voyait plus clair. Ça doit venir de là, l’étape du processus de création qu’on appelle «l’illumination».
C’te soir-là, Gabin a couché dehors, loin des pierres de la maison. Ça pris du temps avant qu’il se réessaye à jouer de la musique. Y’avait beigne trop peur des conséquences de son art, de l’effet que produisait son instrument. Autant d’émotions incontrôlables. Y’avait peur de se faire rejeter à nouveau par sa famille, de se faire prendre pour un sorcier, un magicien, un «dieu»!
Une couple de jours plus tard, il s’est réessayé. Avec deux pierres, il a osé. Parce qu’il se guettait, il se méfiait au début, de lui-même, mais à la longue, il s’est abandonné à la musique et faisait des feux partout. Gabin est devenu l’artiste du village, un être lumineux qui change des vies, des façons de faire, des façons d’être.
On pense que le feu a été créé pour rallonger le temps en reproduisant l’astre du jour, c’est pratique quand on a plein de choses à faire d’avoir une lampe allumée la nuit pour en faire plus, c’est vrai, mais au fond, la lumière a été inventée pour que les rêves se réalisent.
Dans mon ermitage, la nuit, je me réveillais sans me choquer, sans me forcer à me rendormir, sans la dictature d’un: «dors, dors, dors, dors, enwoueille, dors, faut qu’tu t’lèves demain matin pour travailler, dors, dors, dors, maudite insomnie d’marde, dors, dors, dors, sinon tu ne seras pas en forme». «En forme» de quoi au juste? C’est quoi cette expression? Au lieu de me choquer, lorsque je me réveillais, j’allumais ma petite lampe, j’ouvrais mon livre, je lisais jusqu’à ce qu’organiquement, je me rendorme… La sainte paix, comme disait ma mère. Et je rêvais tellement mieux.
Bonne année très cher.ère.s lecteur.trice.s de mon coeur… Vous pensez que c’est bien anodin de me donner rendez-vous à tous les 1er du mois à 10h (ou quand bon vous semble), mais pour moi, c’est à chaque fois, non mais, chaque fois, comme si vous me faisiez naître!
Un accouchement de l’acte d’écrire et c’est dans vos yeux que l’embryon de moi-même comme autrice, prend vie, incube, grandit, pousse, évolue…
Merci d’être là!
Écoutez votre rythme, la musique de votre corps en 2022…
C’est tout ce que je vous souhaite!